dimanche 9 septembre 2007

Samedi, le 8 septembre – Mon témoignage aux funérailles de mon père

En pensant à mon père, je garde le souvenir d’un père aimant qui n’hésitait pas à dire «Je t’aime» à ses enfants.

Aussi, je garde le souvenir d’un travailleur acharné et optimiste. D’un homme qui s’oubliait souvent pour donner ce qu’il y a de mieux à sa famille.

De plus c’était un grand-papa fier de ses petits enfants.

Il a toujours, à ma connaissance, eu un charme magnétique. Il se faisait des amis partout où il passait.

Mais il avait aussi mis de côté beaucoup de ses rêves de jeunesse, faisant preuve d’abnégation comme presque tous les hommes de sa génération – «comme 1 million de gens»…

C’est pourquoi j’aime aussi penser au Claude Rochefort que je n’ai pas connu, celui que je vois sur les vieilles photos. Celui que me racontent ses vieux amis, et ses neveux et nièces.

Mon père a déjà eu des allures de James Dean, sur sa moto, ou dans son «Studebacker». Aussi des allures de Pacino lorsque chauffeur de taxi. C’est en fait le jeune rebelle de la famille.

Je n’ai pas de regrets de ne pas avoir appris son passé de sa bouche. Il n’était pas ce genre d’homme qui se raconte, qui crée sa propre légende de son vivant. C’était comme ça.

C’est pourquoi j’aimerais qu’on consacre tous une minute de recueillement pour mon père, durant laquelle vous vous rappeliez un moment de bonheur avec lui. Un moment où vous avez bien ri, ou un moment où vous avez réalisé ensemble quelque chose dont vous êtes fiers… ou même un moment de pur bonheur où vous relaxiez en silence, une bière à la main, le soleil vous dorant la peau du visage…

Fermez les yeux et souvenez-vous.

J’aimerais que quand nous quitterons cette église, si vous pleurez, vous pleuriez de bonheur et non de regrets. Que vous pleuriez de joie en pensant à ces anecdotes drôles, ou simplement heureuses que vous avez vécues avec mon père. Laissez à la porte de cette église les regrets et savourez la chaleur et le soleil de cette magnifique journée avec un Claude Rochefort heureux à vos côtés. Laissez-le s’envoler et soyez contents pour lui.

Finalement, j’en profite pour vous demander une faveur : je vous demande d’avoir une pensée ou de prier pour Christian, le fils de ma cousine Lise. Lise la filleule tant aimée et admirée de Claude. Son fils Christian se bat présentement pour sa vie à l’hôpital Saint-Luc à Montréal. Priez donc pour qu’il s’en sorte, mais aussi pour Lise et sa file afin qu’elles gardent l’énergie et l’espoir de l’aider à s’en sortir. À 24 ans, Christian a encore toute la vie devant lui, plein de projets à réaliser, plein de bonheur à vivre… comme Claude à son âge.

dimanche 2 septembre 2007

Samedi, le 1 septembre 2007 – Le départ de mon père

Julie et moi avons été dîner pendant que mon père dort. J’aimerais aller voir ma mère tout de suite, mais Julie me convainc de rester pour faire la toilette de mon père comme nous avions prévu initialement.

Lorsque nous revenons, nous le réveillons. Nous nous inquiétons du fait qu’il n’a pas fait pipi depuis longtemps. Patricia l’infirmière propose de lui faire une petite échographie de la vessie. Tout semble normal.

Julie écoute de la musique avec papa pendant que je prépare sa douche. Ils écoutent Francis Cabrel, puis Claude Dubois. Il chante en cœur avec Julie la chanson «Besoin pour vivre» :
J’ai besoin de m’amuser
J’ai besoin pour vivre sur terre de soleil et de pluie
De légumes et de fruits
J’ai besoin de bouger, de dormir et manger
J’peux pas vivre sans être aimé
J’ai besoin pour vivre sur terre de rire, de m’amuser
Et surtout de chanter
J’ai besoin de danser avec le monde entier
J’peux pas vivre sans être aimé
J’ai besoin de m’amuser
J’ai besoin pour vivre sur terre d’essayer que les êtres
Ne manque jamais de rien
Besoin de travailler rien que pour vous donner
Car je ne pourrais pas exister
J’ai besoin pour vivre sur terre d’aimer et d’être aimé
De prendre et de donner
J’ai besoin de penser et aussi de rêver
À celle qui me fait tant aimer
Celle qui me fait aimer.

Papa et moi nous dirigeons ensuite vers l’immense douche de l’unité de soins. Je lui dis à la blague que c’est un spa. Mon père se déshabille doucement, et je l’aide et l’assieds sur une chaise de bain. Je me suis mis moi-même en sous-vêtements pour ne pas mouiller mes vêtements.

Je croyais que ce serait difficile de laver mon père – dans le sens de gênant. Mais ce fut au contraire très agréable comme contact. Je le laisse se laver les parties intimes, mais je savonne bien tout le reste de son corps… sans oublier les cheveux que je lui masse délicatement pendant qu’il se réchauffe avec le jet d’eau chaude. Je ne me souviens pas si mon père me lavait étant enfant, mais je suis content d’avoir pu lui offrir ce cadeau. Avoir su que ce spa existait, j’en aurais profité avant! Ce fut d’ailleurs un cadeau pour moi aussi; un des seuls moments de réelle intimité avec mon père dont je me souvienne.

Ça me rappelait vaguement une scène du film «Un zoo la nuit».

Mon père a mis sa chemise neuve, un sous-vêtement propre (il avait passé sa première nuit en couche… qu’elle humiliation!) et un pantalon de pyjama en flanelle. Je l’ai parfumé avec mon «Zegna».

De retour à sa chambre, il a entrepris de se raser. Nous recevons alors un appel de Linda, ma cousine, qui nous avertit que ma mère a eu une permission de son médecin pour sortir visiter mon père. Ma tante Gislaine l’accompagne. Elle doit être de retour pour 20h ce soir. Mon père est très heureux.

Alors qu’il se rase doucement depuis une dizaine de minutes, mon père semble s’endormir, le rasoir à la main… comme il le fait régulièrement ces temps-ci. Soudain, son corps se cabre vers l’avant. Son bras droit, qui tient son rasoir, se tend vers l’avant. Il se met à émettre un ronflement puissant et ses yeux sont grands ouverts, mais vides.

Je soutiens mon père et Julie court chercher les infirmières. Je chuchote à l’oreille de mon père «Ça va aller, papa».

Les infirmières le prennent en charge et le couchent dans son lit. Nous sortons, Julie et moi, dans le corridor pour les laisser travailler. L’une des infirmières vient nous rejoindre après 1 minute pour me dire de venir voir mon père. Ça me prend quelques secondes pour réagir à ce qu’elle me dit : «Votre père s’en va»…

Je monte sur le lit et caresse délicatement sa tête en lui chuchotant : «C’est Daniel, je suis là. Ça va aller, papa». Son ronflement s’arrête et repart en vagues irrégulières. Ma Julie tente de joindre ma sœur au téléphone et lui dit de venir tout de suite, car son père va mourir.

Les infirmières prennent son pouls et ses signes vitaux, et relâchent bientôt leur étreinte alors qu’elles ne sentent plus son cœur battre. Mon père a un dernier spasme respiratoire et je lui chuchote «ça va aller, papa, laisse-toi aller». J’ai soudain un petit sursaut d’impatience alors que je dis aux infirmières «qu’est-ce qu’on peut faire? Peut-on le réanimer?», mais je me ravise aussitôt et leur dit que mon père ne souhaitait pas être réanimer. Elles me confirment qu’elles le savaient.

Je continue à chuchoter doucement à l’oreille de mon père alors que sa respiration s’est définitivement arrêtée. Je lui ferme les yeux et lui dit «Merci pour la vie papa…»

Mon père est décédé à 16h34, probablement d’un AVC.

samedi 1 septembre 2007

Samedi, le 1 septembre – jour 19

Les infirmières ont fait porter une contention à papa durant une bonne partie de la nuit afin qu’il ne se lève plus à répétition. Il n’arrivait pas à dormir. Il était très contrarié à son réveil, mais il a gardé malgré tout son humour avec Patricia l’infirmière.

Papa est très fatigué lorsque nous arrivons à midi et quart. Il est déjà assis devant son repas depuis un temps indéterminé, et il n’a pas encore touché son assiette. Nous le faisons manger et il avale péniblement toute sa soupe, les 3/4 de sa portion de jambon, une bouchée de patates pilées, et la moitié du pot de compote de pruneaux. Ça a pris 1h1/4 pour le faire manger. Nous soupçonnons que personne à l’hôpital ne prend réellement le temps de le faire manger, et que c’est la raison pour laquelle il ne mange presque pas.

Nous lui montrons la chemise que nous lui offrons en cadeau et il est content. Ses yeux se ferment tous seuls et nous en profitons pour faire venir l’infirmière, afin qu’elle voie enfin ce comportement étrange que personne n’est en mesure de nous expliquer.

L’infirmière l’observe, et lui pose des questions. Elle lui demande s’il est fatigué et il acquiesce. Nous l’étendons dans son lit et il s’endormit tout de suite après.

L’infirmière - elle est l’assistante et elle semble avoir énormément d’expérience – nous explique que d’après elle, mon père est extrêmement fatigué, car il dort très peu depuis son entrée à l’hôpital. Très souvent, les patients souffrant du cancer du poumon dorment très peu et n’arrivent pas à avoir un sommeil réparateur, car ils ont peur de mourir dans leur sommeil. Ils se réveillent dès qu’ils ont le moindre problème respiratoire. Nous avons d’ailleurs déjà observé que mon père se réveille au moindre de ses ronflements.